Le Nouveau Testament a-t-il à l’origine été écrit en hébreu ?


Un article intéressant a été publié sur le site “Jewish Studies for Christians”, écrit par le Dr. Eli Lizorkin-Eyzenberg. Nous le publions ici avec la permission de son auteur.

Pour lire l’article sur le site “Jewish Studies for Christians”, cliquez ici.

Des centaines de milliers de Chrétiens se sont posé cette question d’une manière ou d’une autre. La raison de leur curiosité est louable. C’est le désir de de s’approcher aussi près que possible de Dieu en s’approchant aussi près que possible de Sa Parole écrite.

Le profond intérêt des Chrétiens modernes pour le contexte juif du Nouveau Testament n’est pas nouveau. Des Chrétiens sérieux au cours des âges ont reconnu l’importance de l’étude de la composition du Nouveau Testament. L’intérêt pour la judéité de Jésus s’est accru avec le temps. Les réseaux sociaux et les articles qui ont trait à la judéité de Jésus en témoignent par leur nombre croissant. Un nombre croissant de Chrétiens du monde entier tentent d’apprendre l’hébreu de façon autodidacte ou s’inscrivent dans des cours en université et en ligne.

Pourquoi cet intérêt des Chrétiens pour le Jésus juif ?

Il y a à cela de nombreuses raisons, mais je n’en mentionnerai que quelques-unes. Mon intention est de vous montrer que ce qui se produit dans le monde influence fortement (voire détermine) la façon dont les Chrétiens pensent la Sainte Bible.

Tout d’abord, l’Holocauste a conduit les Chrétiens à poser beaucoup de questions difficiles sur la fidélité de Dieu envers son peuple Israël, et sur la tâche qu’a l’Eglise de prendre position dans l’arène politique. De plus, l’Holocauste a poussé l’Eglise à examiner les éléments (et ce qu’il faut en faire) de sa théologie qui peuvent avoir contribué à l’Holocauste juive en Europe.

De plus, la création de l’Etat d’Israël a forcé les Chrétiens à prendre en considération les anciennes promesses de Dieu quant à la restitution physique de la terre au peuple d’Israël. Cela a généré beaucoup de questions importantes qui se rapportent à ce sujet.

Troisièmement, les découvertes archéologiques et la diffusion des Manuscrits de la Mer Morte ont occasionné une révolution dans les institutions (séminaires et universités) quant aux questions portant sur les origines du christianisme et sur leur relation à leur enracinement juif ancien.

Quatrièmement, divers groupes chrétiens libéraux et conservateurs ont commencé à réfléchir sur ce que tout cela signifie, et sur ce qu’il faut faire pour passer du domaine de la pensée au domaine de l’action.

Quoique tout cela soit intéressant, je pense qu’il vaut mieux nous en tenir à notre question principale. Le Nouveau Testament a-t-il été écrit en hébreu ?

Mon opinion est que le texte original entier du document que nous avons nommé Nouveau Testament a été écrit par des Juifs suivant Jésus (au sens ancien de ce mot) dans une langue que l’on peut qualifier, non pas simplement de koinè ou grec commun, mais de “koinè judéo-grecque”. Certains auteurs qui avaient les moyens d’employer un scribe professionnel (comme c’était le cas de Paul, et peut-être également de Luc) avaient une excellente maîtrise de la langue, tandis que d’autres, comme les auteurs de l’évangile de Jean et du Livre de l’Apocalypse ont écrit à un niveau beaucoup plus simple. Il en va de même en anglais ; on peut écrire dans un style élégant, ou exprimer ses pensées dans la même langue, mais sous une forme beaucoup plus simple (comme je le fais moi-même).

Mais avant tout, qu’est-ce que la koinè ?

La koinè (qui diffère du grec classique) était la forme commune à plusieurs régions du grec parlé et écrit dans l’antiquité hellénistique et romaine. La composition du Nouveau Testament date de cette période historique.

Mais je ne pense pas que le type de grec qui apparaît dans le Nouveau Testament puisse être qualifié SEULEMENT de koinè. Une autre composante s’ajoute à ce grec koinè – une parenté juive et hébraïque significative. C’est pourquoi je préfère appeler cette langue koinè judéo-grecque.

Le judéo-grec, de même que le célèbre judéo-allemand (yiddish), le judéo-espagnol (ladino) et les langues moins connues que sont le judéo-persan, le judéo-arabe, le judéo-italien, et le judéo-géorgien, est simplement une forme de grec utilisé par les Juifs pour communiquer. Ce langage a gardé de nombreux mots, phrases, structures grammaticales, et des modes de pensée caractéristiques de la langue hébraïque.

Le judéo-grec est-il donc vraiment du grec ? Oui, mais du grec qui hérite de modes de pensée et d’expression sémitiques. En cela, il diffère des sortes de grec utilisées par d’autres groupes.

Ainsi je m’oppose à l’idée que le Nouveau Testament a d’abord été écrit en hébreu puis traduit en grec. Je pense plutôt qu’il a été écrit en grec par des personnes qui pensaient à la manière juive, et surtout en plusieurs langues. Des personnes qui parlent plusieurs langues peuvent aussi penser en plusieurs langues. Lorsqu’elles parlent, elles importent toujours dans une langue quelque chose qui provient d’une autre langue. La question n’est jamais de savoir “si” c’est le cas, mais seulement “à quel degré”.

L’argument principal des Chrétiens qui pensent que des parties du Nouveau Testament ont été d’abord écrites en hébreu consiste en ce que le Nouveau Testament est plein d’hébraïsmes (un hébraïsme étant un motif idiomatique propre à l’hébreu apparaissant dans une autre langue).

De fait, c’est là un argument très important. Il montre que pour étudier sérieusement le Nouveau Testament, il ne faut pas se limiter à l’étude du grec. Il faut aussi apprendre l’hébreu. Avec une connaissance de l’hébreu biblique, les étudiants pourront lire de façon beaucoup plus précise le texte du Nouveau Testament en koinè judéo-grecque.

Je suggère donc qu’il n’est pas besoin d’imaginer une base textuel en hébreu du Nouveau Testament pour expliquer la présence d’hébraïsmes dans le texte. Quoique possible, cette théorie manque simplement des preuves qui lui sont désespérément nécessaires.

Avancez avec moi un peu plus loin. Outre leur connaissance de plusieurs langues, les auteurs du Nouveau Testament tenaient la Septante pour leur source la plus fiable de la Bible hébraïque.

Maintenant, nous devons nous rappeler que la version grecque de la Bible hébraïque a été traduite en grec par les chercheurs juifs de l’époque. La légende veut que 70 sages juifs aient fait chacun de manière séparée une traduction de la Bible hébraïque, et que lorsqu’ils aient eu achevé ces traductions, elles aient toutes concordé parfaitement les unes avec les autres. Comme je l’ai dit, il s’agit d’une légende. Le nombre de 70 est dans le judaïsme ancien le symbole des 70 nations du monde. Cette traduction n’étaient pas seulement faite pour des Juifs hébréophones, mais également pour des non-Juifs qui pourraient ainsi avoir accès à la Bible hébraïque. Vous pouvez imaginer combien de mots, de phrases, de modes de pensée hébraïques sont présents dans la Septante.

Donc, outre que les auteurs du Nouveau Testament pensaient à la manière juive et hébraïque, nous connaissons aussi la source de leurs citations de l’Ancien Testament, qui proviennent d’un autre document écrit par des Juifs – la Septante. Est-il donc surprenant que le Nouveau Testament soit pein de formes hébraïques exprimées en grec ?

Note en bas de page : l’utilisation de la Septante par les auteurs du Nouveau Testament est une idée très intéressante.

Le texte juif de la Bible hébraïque que l’on utilise aujourd’hui est le texte massorétique. Lorsque les Manuscrits de la Mer Morte ont été examinés, il s’est avéré qu’il n’y avait pas une seule, mais bien plusieurs familles e traditions bibliques du temps de Jésus. L’une d’elle se rapprochait du texte massorétique, mais une autre correspondait au texte de la Septante, et une autre encore semble avoir des liens avec la Torah samaritaine.

Entre autres choses, cela montre bien sûr que la Septante cité par le Nouveau Testament a une grande valeur, dans la mesure où elle est fondée sur un texte hébraïque qui est au moins aussi ancien que le texte hébraïque qui allait devenir le texte massorétique.

Comme je l’ai déjà affirmé, je crois que le Nouveau Testament tout entier a été écrit en koinè judéo-grecque. Permettez-moi d’aborder un point très important. Dans plusieurs passages des écrits des Pères de l’Eglise, il est fait mention d’un évangile en hébreu.

La référence la plus importante et la plus ancienne est celle d’un auteur du christianisme primitif, Papias d’Hiérapolis (125-150 ap. JC). Il écrit : « Matthieu a rassemblé les oracles dans le dialecte hébraïque et les a interprété chacun du mieux qu’il pouvait. » Nous avons donc un témoignage chrétien très ancien quant à un document de Matthieu rédigé en hébreu.

Est-ce là une référence à un Evangile de Matthieu originellement écrit en hébreu ? Peut-être. Est-ce une référence à un document que Matthieu a rédigé, mais qui serait autre que l’Evangile de Matthieu ? C’est possible.

Toute cette discussion est compliquée par le fait que les Evangiles sont anonymes et ne contiennent pas de référence univoque à un auteur particulier (quoique certains soient attestés très tôt). L’Evangile de Matthieu ne fait pas exception. Nous ne savons pas si Matthieu (le disciple de Jésus mentionné dans les Evangiles) est en réalité l’auteur de cet évangile que nous appelons “Evangile selon Saint Matthieu”.

Bien plus, l’expression de Papias d’Hiérapolis : « il les a interprétés chacun du mieux qu’il pouvait », est rien moins qu’inspirante. On n’a pas le sentiment qu’il puisse s’agir du majestueux Evangile de Matthieu, qui comporte des textes clé comme le Sermon sur la Montagne ou le grand envoi en mission. Il est possible que Papias se rapporte à quelque chose de moins grandiose, à savoir qu’il avait entendu dire que Matthieu avait collecté en hébreu les paroles de Jésus, en les assemblant du mieux qu’il avait pu. Il n’y a aucune raison de nier qu’un tel document ait pu exister, mais il n’y a pas non plus de raison particulièrement forte de l’identifier avec l’Evangile de Matthieu.

Des études et des découvertes archéologiques récentes ont montré que l’hébreu, l’araméen, le grec et même le latin étaient tous utilisés par les gens de Terre Sainte pendant le premier siècle de notre ère. Mais le Nouveau Testament lui-même, pour autant qu’on peut en juger, a en réalité été écrit par des Juifs suivant Jésus dans la koinè judéo-grecque. C’est la possibilité la plus simple et la plus précisément attestée . Cette conception explique déjà la somme de modes de pensée, de raisonnement, aux traits de grammaire et de vocabulaire hébraïques sous-jacents qui font du Nouveau Testament une composition pleinement juive.

Reconstruire l’histoire, c’est un peu assembler un puzzle où beaucoup de pièces sont manquantes. Plus l’on a de pièces du puzzle, mieux l’on peut voir les contours de l’image ! Plus on en sait sur le contexte historique du Nouveau Testament et plus l’on est familier avec les langues qui lui sont intrinsèquement liées (en particulier l’hébreu et le grec), et plus l’on est capable de l’interpréter de façon précise pour soi-même et pour les autres.

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