Le rêve d’Aliyah d’un prêtre polonais


Le 17 juin 2009, le journal "Forward" publiait un article de Donald Snyder consacré à l’histoire du Père Romuald Jakub Weksler Waszkinel, prêtre polonais Juif et Catholique, et ami des kehillot d’Israël.

Le rêve d’Aliyah d’un prêtre polonais

Le combat d’un Catholique d’origine juive, sauvé de la Shoah par son adoption

Par Donald Snyder

 

Lorsqu’en octobre dernier Romuald Jakub Weksler-Waszinel a déposé son dossier, demandant à immigrer en Israël en tant que Juif, selon la Loi du Retour, les autorités israéliennes ont différé pendant des mois la réponse à sa requête.

 

Sans doute le col romain qu’il porte n’était-il pas pour rien dans leur embarras.

 

Le Ministère de l’Intérieur Israélien a finalement délivré à ce prêtre âgé de 66 ans, chercheur et professeur à l’Université Catholique de Lublin, un visa de résidence de deux ans. Un tel compromis paraît peu satisfaisant à l’égard de ce prêtre qui affirme avec insistance : « Je suis Juif. Mon père et ma mère étaient Juifs. Je me sens Juif. »

 

Durant une interview téléphonique en traduction simultanée, il a dit : “Aller en Israël, pour l’enfant Juif que je suis, ce serait comme de rentrer à la maison en ayant pris le chemin le plus long. ».

 

Né en Pologne en1943, pendant l’occupation nazie, Weksler-Waszkinel ignora jusqu’à l’âge de 35 ans qu’il était Juif, 12 ans après son ordination comme prêtre catholique. Il ignorait également que ses parents, tous deux sionistes convaincus, avaient été assassinés par les Nazis, après l’avoir confié à une famille polonaise catholique pour lui sauver la vie. Après cette découverte, il ne mit pas moins de 14 ans à retrouver son vrai nom et le nom de ses parents. « Je peux dire qu’en un sens, il m’a fallu 14 ans pour naître. », affirme le prêtre.

 

« Les rêves de ma mère se sont envolés dans les flammes de Sobibor », raconte-t-il, évoquant ce camp de la mort, qui se trouvait en Pologne, et où quelque 260 000 Juifs furent assassinés.

 

Weksler-Waszkinel n’est pas le seul cas de confrontation à cette double identité. Dans une interview réalisée à Jérusalem, Mark Shrabermann, chef du service des archives à Yad Vashem, le musée et centre de recherches d’Israël consacré à la Shoah, dit recevoir de nombreuses lettres de Polonais découvrant leur origine juive. « Ils apprennent la vérité au moment de la mort d’un de leurs parents », dit Shrabermann. Il ajoute qu’il a récemment reçu une lettre d’un autre prêtre polonais d’une petite ville, qui vient de découvrir qu’il était Juif.

 

Cependant Weksler-Waszkinel, dans son désir d’émigrer en Israël pour retrouver cette identité perdue, pousse cette quête d’identité plus avant que la plupart. Quoique sa demande originale ait été la reconnaissance par le gouvernement de son identité juive, qui l’aurait fait bénéficier de la Loi du Retour – la loi qui accorde à tout Juif d’office la nationalité israélienne –, il s’est déclaré « très satisfait » de l’octroi d’un visa de deux ans.

 

Weksler-Waszkinel projette de s’immerger dans la vie juive. « Je ne sais pas vraiment ce que cela signifie, étant après tout un prêtre catholique. Mais je trouverai. », dit-il. « J’ai pensé par exemple à travailler comme volontaire à Yad Vashem, en tant que survivant de la Shoah actif dans le dialogue Judéo-Chrétien, qui est si important. » Il annonce que la première chose qu’il fera sera d’apprendre l’hébreu.

 

Weksler-Waszkinel est né dans la ville de Stare Swjeciary – située à l’époque en Pologne, mais qui est depuis devenue la ville de Svencionys en Lithuanie -, quatre ans après l’invasion Nazie en Pologne, qui marqua le début de la Seconde Guerre Mondiale. Sa mère, Batia Weksler, le donna tout petit enfant à une femme chrétienne, pour lui sauver la vie.

 

Emilia Waszkinel, sa mère chrétienne, hésita tout d’abord à le prendre, parce qu’elle et son mari Piotr risquaient la mort si l’on découvrait qu’ils cachaient un Juif. Il semble qu’Emilia ait été convaincue d’accepter le bébé par la supplication de la mère juive : « Sauve mon enfant, cet enfant juif, et au nom de Jésus auquel tu crois, il sera prêtre. »

 

Le couple éleva le garçon comme leur propre enfant, dans l’Est de la Pologne où ils s’étaient installés après la guerre, sans lui révéler qu’il était Juif. Le garçon fréquenta l’école laïque.

 

C’est sans doute pour cette raison que les parents furent stupéfaits lorsque, à l’âge de 17 ans, Weksler-Waszkinel leur annonça son intention de devenir prêtre. Son père tenta de l’en dissuader, lui conseillant plutôt d’être docteur ; il ne put même se retenir de pleurer lorsqu’il lui rendit visite au séminaire. Weksler-Waszkinel se sentit infiniment coupable lorsque son père mourut, peu de temps après cette visite. Un court instant, il envisagea d’arrêter ses études.

 

Avant même de découvrir ses origines juives, Weksler-Waszkinel avait nourri des doutes sur sa vraie identité. Le jeune homme s’était bien rendu compte qu’il n’avait pas les traits typiquement slaves de ses parents. Comme il avait été traité de « bâtard juif » par des ivrognes, il demanda à sa mère s’il était juif. Elle lui assura qu’il était catholique. Lorsqu’il eut 35 ans, longtemps après son ordination, il la questionna de nouveau sur son identité, et Emilia, en larmes, lui avoua que sa mère était juive.

 

Emilia raconta à Weksler-Waszkinel qu’il avait eu des parents merveilleux, qui avaient été assassinés par les Allemands pendant l’Holocauste, et qu’elle lui avait sauvé la vie.

 

« La tête me tournait, et je lui ai demandé pourquoi elle m’avait caché cela », écrivait le prêtre bouleversé dans un essai de 1994. « Le cœur m’a battu lorsque j’ai pensé : je suis devenu prêtre, comme l’avait dit ma mère. »

 

Le prêtre avait accompli la prophétie de cette mère juive qu’il n’avait jamais connue.

 

Il ressentit le besoin de se confier à quelqu’un ; il écrivit donc à Karol Wojtyla, qui devint par la suite le Pape Jean-Paul II, mais fut d’abord le professeur de Weksler-Waszkinel à Lublin. Le pontife lui répondit : « Mon cher frère, je prie pour que tu puisses redécouvrir tes racines. »

 

Weksler-Waszkinel fit finalement un voyage en Israël. Il y rencontra le frère juif de son père, qui lui montra une photographie de ses parents. Il vit qu’il leur ressemblait. « En moi, il ya les yeux de ma mère, la bouche de mon père, toutes les angoisses et toutes les larmes de mon frère », écrit-il dans l’essai de 1994.

 

L’oncle de Weksler-Waszkinel l’embrassa comme un parent retrouvé après bien longtemps ; mais il lui avoua qu’il ne pouvait comprendre que son neveu soit un prêtre, un représentant de cette église qui avait persécuté les Juifs durant 2 000 ans. Le prêtre répondit : « Appartenir en réalité en Jésus, c’est aimer les Juifs. Jésus ne m’a jamais trahi : je ne le trahirai jamais. »

 

Néanmoins, cette identité complexe est pour Weksler-Waszkinel source de conflits intérieurs.

 

« Sa double identité est pour lui un problème, et il se bat avec elle tout le temps. », dit Zbigniew Nosowski, ami du prêtre et rédacteur en chef de Weiz, un magazine catholique polonais publié à Cracovie.

 

Selon Michael Schudrich, Grand Rabbin de Pologne, « Le Père Waskinel est incroyablement honnête d’affirmer qu’il est juif, et il est également honnête de refuser de tourner le dos à l’église. »

 

Certains amis proches comprennent bien l’ampleur que peut prendre ce conflit chez le prêtre. « C’est une tâche impossible pour lui de trouver sa place », dit Stanislaw Krajewski, un ami du prêtre, qui enseigne les mathématiques à l’Université de Varsovie. Krajewski dit que le prêtre de 66 ans a constitué, pour certains Juifs et certains Chrétiens, « une présence inconfortable, en raison de sa double identité religieuse.

 

« Il est très Juif et très Chrétien », dit Hanna Krall, célèbre journaliste et romancière polonaise.

 

Weksler-Waszkinel dit que la Pologne sera toujours sa patrie, et Israël sa maison.

 

Le prêtre a voué la majeure partie de sa carrière académique à écrire sur les relations judéo-chrétiennes. Il fait l’éloge des réformes introduites par le Concile Vatican II, qu’il décrit comme « un changement radical, une révolution ».

 

Il travaille à l’amélioration des liens entre Chrétiens et Juifs, inspiré par l’appel du Pape Jean-Paul II à un respect et une compréhension accrus des Catholiques à l’égard des Juifs. Interrogé sur la manière dont Weksler-Waszkinel promeut l’oecuménisme, Shudrich répond : “Le fait même qu’il se lève le matin et respire… c’est un message de vie très fort. »

 

Selon certains intellectuels polonais, l’histoire de Weksler-Waszkinel rapproche les Juifs et les Chrétiens. « Lorsque qu’il raconte son histoire personnelle, il en a les larmes aux yeux », dit Krajewski. « Et son auditoire pleure avec lui. C’est une histoire très triste. »

 

Les discours de Weksler-Waszkinel font ressortir les racines juives du christianisme et l’abîme qui sépare les deux fois. Il critique souvent l’Eglise Catholique de ne pas combler le fossé entre Juifs et Chrétiens. Dans notre interview, il m’a raconté que le Pape Jean-Paul II a dit un jour : « Le Nouveau Testament trouve ses racines dans l’Ancien Testament. », et que le plus significatif dans cette phrase est le mot « trouve ». Weksler-Waszkinel a ajouté : « Ces racines ont toujours été là, selon le Pape Jean-Paul II, mais depuis 19 siècles elles ont été oubliées, et le Juif était considéré par les catholiques comme leur pire ennemi.

 

C’est à l’évidence en toute sincérité que Weksler-Waszkinel a déposé son dossier pour bénéficier de la Loi du Retour en Israël. Cette demande comporte aussi un aspect pratique. La nationalité israélienne l’autoriserait à bénéficier d’avantages dont il a besoin pour étoffer sa petite pension de 900$ par mois. Selon la solution qu’il vient d’accepter, celle du visa de deux ans, il n’aura pas accès à ces avantages. Le prêtre est néanmoins décidé à émigrer, quoique avec peu d’argent et un visa de deux ans.

 

Les experts doutent que le Ministère de l’Intérieur, contrôlé par le parti ultra-Orthodoxe Shas, accorde à Weksler-Waszkinel la nationalité israélienne au titre de la Loi du Retour.

 

En 1962, la Cour Suprême Israélienne s’est prononcée à 4 voix contre 1 contre la requête d’Oswald Rufeisen, un moine carme d’origine juive connu sous le nom de Frère Daniel, qui cherchait à obtenir la nationalité israélienne au titre de la Loi du Retour. C’était la première restriction apportée à cette loi, fondamentale pour l’identité d’Israël depuis sa fondation au lendemain de l’Holaucauste. Le juge Haïm Cohen, seul à être contre, faisait alors remarquer que les Nazis cherchaient à tuer tous ceux qui étaient Juifs de naissance, indifféremment de leur conversion ou de leur rejet du Judaïsme. Mais la cour a décidé que la Loi du Retour ne pouvait s’appliquer à des Juifs qui ont adopté une autre religion.

 

Les arguments de Weksler-Waszkinel pour obtenir d’office la nationalité israélienne semblent plus sérieux que ceux de Rufeisen sur un point : Il pourrait affirmer qu’il n’a jamais réellement « adopté » une autre religion. Contrairement au Carme d’origine polonaise, qui s’est converti à l’âge adulte au Catholicisme, après avoir trouvé refuge dans un couvent pour fuir les Nazis, Weksler-Waszkinel n’a jamais consciemment décidé d’abandonner le Judaïsme pour une autre foi. Il dit se considérer lui-même comme un Juif élevé depuis l’enfance dans la religion catholique, sans qu’on l’ait informé de sa vraie identité.

 

« La procédure juridique serait longue et compliquée, et il a décidé de l’éviter », dit Schudrich, qui aide le prêtre à partir s’installer en Israël.

 

« Il veut vivre en un lieu où il puisse voir une vie juive pleine et riche. » Schudrich parle du besoin de Weksler-Waszkinel de réaliser son rêve de vivre en Israël. « Il a le désir intime d’être en un lieu où il sera environné par la culture de ses ancêtres. »

 

 

Soutenez-nous Contactez-nous Vatican News en Hébreu La messe en hébreu Pour la protection des enfants


© 2020 Saint James Vicariate for Hebrew Speaking Catholics in Israel