Conversation d’un père avec son fils au pays de Moria

3. Conversation d’un père avec son fils au pays de Moria

Au troisième jour, ils marchaient donc et conversaient.
Voici la colline, lieu du sacrifice que je dois offrir à Dieu –
Disait le père, et le fils gardait le silence, n’osant demander :
Où est l’agneau ? Nous avons feu, bois, couteau du sacrifice,
Mais où est la victime ?
Dieu seul la choisira –
Il parlait ainsi, et n’osait dire à haute voix
Ces mots : l’agneau, mon fils, ce sera toi –
Aussi gardait-il le silence.

Et ce silence le faisait choir à nouveau dans un abîme étouffant tout son.
Il avait entendu la voix le guider.
Maintenant la voix demeurait silencieuse.
Elle ne lui laissait plus rien que son propre nom
Abraham : celui qui a cru contre tout espoir.

Dans un moment il édifierait le bûcher du sacrifice,
Allumerait le feu, attacherait les mains d’Isaac –
Et ensuite – quoi ? le bûcher se consumerait en flammes.
Il se voit déjà père d’un fils mort.
Le fils que cette Voix lui a donné, et qu’elle veut maintenant reprendre ?
O, Abraham, toi qui gravis cette colline du pays de Moria,
Il est une limite à la paternité, un seuil que tu ne franchiras jamais.
Ici, c’est un autre Père qui va accepter le Sacrifice de son Fils.

Ne crains pas, Abraham, et marche,
Et fais ce que tu dois faire.
Tu seras le père de nombreuses nations.
Fais ce que tu dois faire, jusqu’au bout.
Il arrêtera ta main, prête à porter le dernier coup…
Il ne permettra pas que ta main s’abatte,
Puisqu’en ton cœur elle s’est déjà abattue.
Oui, ta main s’arrêtera en l’air,
Lui, lui-même, il la retiendra.

Et désormais, la Colline de Moria attendra
Que sur cette colline le mystère soit accompli.