Chagall et la croix


Amy Klein a écrit un article passionnant, publié dans HaAretz le 25 septembre 2013, sur la manière dont un artiste juif comme Marc Chagall a représenté le Christ.

Chagall et la croix : comment un artiste juif classique a représenté le Christ

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au Jewish Museum de New York offre un aperçu des tableaux de Marc Chagall dans les années 1930-40, dont beaucoup représentent des scènes de crucifixion.

Lorsque l’on pense à un artiste comme Marc Chagall, souvent appelé l’artiste Juif par excellence au 20e siècle, on ne pense probablement pas à Jésus Christ.

Mais il se trouve que le peintre français, né en Biélorussie, dont l’œuvre fantasque, colorée et onirique est pleine d’images de vaches qui volent, d’amants heureux et d’anges jouant du violon, a aussi quelque chose d’une fascination pour le Juif qui a été crucifié et qui est devenu la figure centrale du christianisme.

La représentation par l’artiste de Jésus en croix fait partie des thèmes que parcourt l’exposition "Chagall : Amour, Guerre et Exil", au Jewish Museum de New York (jusqu’au 2 février 2014. L’exposition couvre les années de guerre 1038-1940, avec la représentation de thèmes très sombres – la destruction du shtetl, la persécution du peuple juif et, en particulier, le Christ crucifié.

Depuis sa jeunesse, Chagall était fasciné par les images de la crucifixion. Il a grandi dans une famille hassidique à Vitebsk, une ville juive de Biélorussie qu’il également représentée dans ses œuvres, mais il a aussi souvent visité les églises orthodoxes russes. Vitebsk (1911) montre Chagall, palette et pinceau à la main, surplombant la ville et fixant du regard les clochers des églises chrétiennes, surmontés de croix.

« La figure symbolique du Christ était toujours très proche de moi, et j’étais déterminé à la faire surgir de mon jeune cœur. Je voulais montrer le Christ comme un enfant innocent », écrit Chagall. A 25 ans, il peignit un Calvaire cubiste (également appelé "Dédié au Christ"1912), qui représente la crucifixion – mais les personnages qui e tiennent au pied de la croix sont ses parents… « Lorsque j’ai peint les parents du Christ, je pensais à mes propres parents… L’homme barbu est le père de l’enfant. Il est mon père et le père de tout homme », c’est la phrase écrite par l’artiste que citait l’exposition.

A la fin des années 1930, Chagall, déjà célèbre et installé à Paris avec sa famille, dont tous sont désormais citoyens français, revint une fois encore à ce sujet de la crucifixion – mais l’innocence s’en est allée. Dans les œuvres de cette période, Chagall a utilisé Jésus pour illustrer la détresse devant l’ascension d’Hitler, de l’antisémitisme et de la destruction – et il a espéré atteindre les Chrétiens en utilisant leur symbole le plus puissant. Prenez par exemple "L’Artiste avec le Christ Jaune" (1948), un autoportrait de Chagall avec sa palette, où il se détourne de la scène qu’il est en train de peindre : un Jésus jaune est pendu à la croix, vêtu d’un talith blanc et noir qu’il porte comme un pagne, tandis qu’un vieil homme bossu marche à l’aide d’une canne. C’est l’une des représentations les plus contenues du martyre : les suivantes ne laisseront plus de place à l’ambivalence.

La persécution, que Chagall a peinte peu après son arrivée aux Etats-Unis en 1941, est rendue dans les bleus intenses des tableaux les plus joyeux, mais le coq, un étudiant et une mère avec son enfant se tienne au pied de la croix – avec à l’arrière-plan le shtetl qui brûle.

« Pour moi, le Christ a toujours symbolisé le type même du Juif martyr. C’est ainsi que je l’ai compris en 1908, en utilisant ce personnage pour la première fois… C’était sous l’influence des pogroms », a écrit Chagall, selon l’historienne de l’art Ziva Amishai-Maisels dans "Représentation et Interprétation : l’influence de l’Holocauste sur les arts visuels" (Pergamon Press, 1993). « Puis je l’ai peint et dessiné dans des tableaux sur les ghettos, entouré de souffrances juives, de mères juives, qui courent terrifiées avec leurs enfant dans les bras ».

Chagall a abandonné ses couleurs lyriques avec la Descente de Croix (1941), dans laquelle, cette fois, au milieu des gris sourds, le visage de Chagall est sur le crucifié, descendu de la croix par un personnage barbu. L’inscription INRI (Jésus de Nazareth, Roi des Juifs) sur la croix est remplacée par MARC CH. Un ange vole près de lui avec un pinceau – mais les yeux de Chagall sont clos. Il semble dire que l’art ne peut sauver les Juifs de la destruction.

Chagall n’a pas été le seul artiste à faire le portrait su Christ pendant les années de guerre. L’exposition comprend la brochure de "Christs Modernes", une exposition de 1942, où figurent 26 artistes, dont 17 juifs (Chagall n’était pas parmi eux). Mais pour Chagall, la figure du Christ représentait les millions de personnes assassinées pendant la guerre.

En 1948, quelques années seulement après a fin de la guerre, la représentation que fait Chagall de Jésus est moins angoissée et plus colorée. Dans Christ dans la Nuit, nous voyons le retour de ses bleus lumineux, avec une tête de vache et un ange rouge qui côtoie le crucifié. Le shtetl à larrière-plan ne brûle pas : la guerre est finie. Chagall et sa nouvelle femme (sa première femme étant morte aux Etats-Unis) reviennent en France, mais les choses ont changé.

Quoique l’œuvre de l’artiste redevienne très vivante après la guerre, avec de tableaux d’amants et de fleurs écloses, Jésus y fait toujours des apparitions. Dans Exode (1952-1966), le Jésus chrétiens – sans pagne, mais couronné d’un halo – est celui qui guide les Juifs hors de l’esclavage.

Une femme qui visitait l’exposition du Jewish Museum a fait en partant ce commentaire : « Il y a trop de Jésus ». Peut-être que certains visiteurs ressentent cela. Mais il est important de remarquer que l’artiste qui, pour beaucoup, représente la peinture juive classique du siècle dernier, s’est centré sur Jésus crucifié afin d’exprimer sa souffrance, et la souffrance sensible de son peuple.

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