Thomas Merton : Tempérament et salut


Dima a traduit pour nous en hébreu un passage des écrits du moine Thomas Merton (1915-1968), l’un des grands maîtres spirituels du 20e siècle.

Le tempérament ne prédestine pas un homme à la sainteté et l’autre à la réprobation. Tous les tempéraments peuvent servir de matière à la ruine comme au salut. Nous devons apprendre à voir que notre tempérament est un don de Dieu, un talent avec lequel il nous faut composer jusqu’à ce qu’Il vienne. Peu importe combien pauvre ou combien difficile est le tempérament dont nous sommes dotés. Si nous faisons bon usage de celui nous avons, si nous le faisons servir à nos désirs bons, nous pouvons faire mieux qu’un autre qui ne fait que servir son tempérament, plutôt que de faire que son tempérament le serve.

Saint Thomas dit [I-II, Q.34, a.4] qu’un homme est bon lorsque sa volonté se réjouit de ce qui est bon, et mauvais lorsque sa volonté se réjouit de ce qui est mauvais. Il est vertueux lorsqu’il trouve son bonheur dans une vie vertueuse, et pécheur lorsqu’il prend plaisir à une vie pleine de péché. Ainsi les choses que nous aimons nous disent ce que nous sommes.

Un homme est donc connu par sa fin. Il est aussi connu par son commencement. Et si vous voulez le connaître tel qu’il est à un instant donné, trouvez à quel point il est loin de son commencement et combien il est proche de sa fin. C’est pourquoi, également, l’homme qui pèche malgré lui mais n’aime pas son péché n’est pas un pécheur dans le plein sens du terme.

L’homme bon vient de Dieu et retourne à Lui. Il commence avec le don de l’être et avec les capacités que Dieu lui a données. Il atteint l’âge de raison et commence à faire des choix. Le caractère de ses choix est déjà dans une large mesure influencé par ce qui lui est advenu dans les premières années de sa vie, et par le tempérament avec lequel il est né. Il continuera d’être influencé par les actions de ceux qui l’entourent, par les évènements du monde où il vit, par le caractère de sa société. En aucun cas ce caractère n’est fondamentalement libre.

Mais la liberté humaine n’agit pas dans un vide moral. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de produire un tel vide afin de garantir la liberté de nos actes. La contrainte qui s’exerce de l’extérieur, les fortes inclinations du tempérament et les passions à l’intérieur de nous n’affectent en rien l’essence de notre liberté. Elles définissent simplement son action en lui imposant certaines limites. Elles donnent à la liberté un caractère propre et singulier.

Un homme coléreux par tempérament pourra être plus enclin qu’un autre à la colère. Mais aussi longtemps qu’il reste sain, il demeure libre de n’être pas en colère. Son inclination à la colère est simplement une force de son caractère qui peut être tournée au bien comme au mal, selon ses désirs. S’il désire ce qui est mauvais, son tempérament deviendra un arme du mal contre les autres hommes et même contre sa propre âme. S’il désire ce qui est bon, son tempérament peut devenir un instrument contrôlé pour combattre le mal qui est en lui-même, et pour aider les autres hommes à surmonter les obstacles qu’ils rencontrent dans le monde. Il reste libre de désirer soit le bien soit le mal.

Il serait absurde de supposer, sous prétexte que l’émotion interfère parfois avec la raison, qu’elle n’a donc pas de place dans la vie spirituelle. Le christianisme n’et pas le stoïcisme. La Croix ne nous sanctifie pas en détruisant le sentiment humain. Le détachement n’est pas l’insensibilité. Trop d’ascètes échouent à devenir de grands saints parce que leurs règles et leurs pratiques ascétiques ont tout simplement mis à mort leur humanité, au lieu de la libérer pour qu’elle se développe dans sa richesse, dans toutes ses capacités, sous l’influence de la grâce.

Un saint est un homme parfait. Il est un temple de l’Esprit Saint. Il reproduit, à sa manière propre et individuelle, quelque chose de la balance, de la perfection et de l’ordre que nous trouvons dans le caractère humain de Jésus. L’âme de Jésus, unie de façon hypostatique au Verbe de Dieu, jouissait en même temps et sans conflit de la claire Vision de Dieu et des émotions humaines les plus communes, simples et intimes – l’affection, la pitié et le chagrin, le bonheur, le plaisir, ou le chagrin ; l’indignation et l’étonnement ; la lassitude, l’angoisse et la peur ; la consolation et la paix.

Si nous sommes dépourvus de sentiments humains, nous ne pouvons pas aimer Dieu de la manière dont nous sommes censés l’aimer – en tant qu’hommes. Si nous ne répondons pas à l’affection humaine, nous ne pouvons pas être aimés de Dieu de la façon dont il a voulu nous aimer – avec le Cœur d’un Homme, Jésus qui est Dieu, le Fils de Dieu, et le Christ oint.

La vie ascétique, en conséquence, doit être commencée et menée avec un respect suprême pour le tempérament, le caractère, l’émotion, et pour tout ce qui nous rend humains. Cela aussi est partie intégrante de la personnalité, donc de la sainteté – car un saint est quelqu’un que l’amour de Dieu a pleinement développé en une personne à la ressemblance de son Créateur.

Le contrôle de l’émotion par l’abnégation tend à faire mûrir et à parfaire notre sensibilité humaine. La discipline ascétique n’épargne pas notre sensibilité : car si elle le fait, elle manque à son devoir. Si nous faisons réellement preuve d’abnégation, notre abnégation nous privera même de choses dont nous avons vraiment besoin. Aussi nous en ressentirons le manque.

Nous devons souffrir. Mais l’attaque de la mortification sur la raison, la sensibilité, l’imagination, le jugement et la volonté est supposée les enrichir et les purifier tous. Nos cinq sens sont engourdis par le plaisir désordonnés. La pénitence les aiguise, leur rend leur vitalité naturelle, l’accroît même. La pénitence clarifie l’œil de la conscience et de la raison. Elle nous aide à penser clairement, à juger sainement. Elle fortifie l’action de notre volonté. Et la pénitence tonifie également la qualité de l’émotion ; c’est le manque d’abnégation et de discipline qui explique la médiocrité de tant d’œuvres d’art et d’écrits pieux, de tant de prières sentimentales, de tant de vies religieuses.

Certains hommes se détournent de toute cette émotion à bon marché avec une sorte de désespoir héroïque, et ils cherchent Dieu dans un désert où les émotions ne peuvent rien trouver pour se sustenter. Mais cela également peut être une erreur. Car si nos émotions meurent réellement dans le désert, notre humanité meurt avec elles. Nous devons revenir du désert comme Jésus ou Saint Jean, avec notre capacité de sentir dilatée et approfondie, fortifiée contre les appels de la fausseté, prévenur contre la tentation, grande, noble et pure.

(Pensées en solitude, n° 11)

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