Réflexions sur Pourim et le Carême


Lucia de la kehilla de Jérusalem médite sur les thèmes communs à Pourim et au Carême.

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Qu’a donc la fête de Pourim à voir avec nous Chrétiens ? On y célèbre le carnaval et l’ivresse au beau milieu du Carême ! Quoi donc de commun entre ces deux périodes ? Avant que de répondre, avec une certitude inébranlable, qu’absolument rien ne les relie, prenez le temps de lire jusqu’au bout cet article, qui rendra peut-être votre réponse moins catégorique. Cela implique de ne pas voir seulement dans Pourim un carnaval, même si le carnaval est également un phénomène intéressant, que l’on retrouve sous diverses formes à plusieurs époques et dans plusieurs cultures. Il semble que soit présente dans la personne humaine une sorte de besoin psychologique de se déguiser en quelqu’un ou quelque chose d’autre, révélant ainsi ce qu’elle a en elle ou dévoilant des aspirations cachées. De cette façon, incognito, elle peut faire des choses que dans des circonstances ordinaires elle n’ose faire (et qui ne sont pas nécessairement des choses répréhensibles).

En réalité, pour la plupart d’entre nous, nous sommes quotidiennement déguisés. Notre choix de vêtements est dicté par toutes sortes de mœurs ou simplement par la mode. Cette même jeune fille qui cherche une saison à ressembler à une dame anglaise élégante fera son apparition un an plus tard en jean déchiré et en tee-shirt maculé de taches de peinture. Cependant, elle n’est présente ni dans l’un ni dans l’autre de ces accoutrements. Il faut également mentionner les masques que nous revêtons selon les rôles que nous jouons dans l’une ou l’autre situation de nos vies. Pour certains, la mascarade est la seule possibilité de trouver sa propre image et son propre costume, et finalement d’être soi-même. Cela peut donc être l’occasion de voir clairement à quel point sont attachés le masque et le rôle qui lui correspond. Un peu de lucidité sur soi-même n’est pas une mauvaise chose en période de Carême… oh, pardon, je veux dire pour Pourim.

Parlons cependant de choses plus sérieuses ; car le carnaval est une coutume récente, importée d’Europe, tandis que Pourim a ses propres commandements.

Le premier commandement de Pourim est d’écouter la lecture du Livre d’Esther, qui raconte l’origine de ce jour de fête. Écouter signifie prêter l’oreille à chaque mot malgré le bruit des « raashanim » (bruits) à chaque mention du nom de Haman. Dans les synagogues qui prennent au sérieux ce commandement, l’assemblée, après une brève clameur, revient immédiatement à un silence méditatif (bon exercice pour celui qui veut entendre la Parole qui lui est adressée de façon personnelle). Le bruit symbolise l’accomplissement du commandement d’effacer la mémoire d’Amalek (Dt 25 :17-19), dont Haman est un descendant. Il s’agit vraiment d’un symbole, puisque le plus important est d’éliminer Amalek de l’intérieur de chacun de nous. Spirituellement, Amalek n’est pas seulement le mal, car il donne lieu à diverses interprétations dans la tradition juive. Selon l’une d’elles, Amalek incarne le doute quant à l’existence d’une relation avec le Créateur. (Selon le système de la gematria – qui assigne à chaque lettre de l’alphabet une valeur numérique – le nom d’Amalek a la même valeur numérique que le mot safek, doute.) Dans le livre d’Esther (en tout cas pour la version en hébreu), il n’y a aucune occurrence du nom de Dieu, exactement comme lorsque nous lisons de nos jours le récit des évènements dans les journaux (ce qui vaut aussi pour la façon dont nous nous racontons à nous-mêmes les évènements quotidiens de nos vies). Amalek peut aussi être une allusion à d’autres circonstances, conditions économiques, situations sociales et politiques, influences atmosphériques, etc. Pour comprendre comment vaincre Amalek, cf Exode 17 :8-16.

Si nous apprenons à reconnaître la main de la Divine Providence dans les coïncidences apparentes que recèlent les évènements, nous sommes prêts à recevoir du livre d’Esther une autre leçon : Dieu nous permet (si toutefois nous nous laissons guider par lui et ne luttons pas contre lui pour nous diriger nous-mêmes) d’atteindre le bon endroit au bon moment. Cela dépend de notre volonté d’accomplir ce qui est nécessaire en ce temps et en ce lieu, et de cette décision peut découler un changement dans le cours de l’histoire comme dans nos propres vies. N’est-ce pas aussi notre tâche de Carême ?

Les trois autres commandements de Pourim, après cette dimension verticale, nous ramènent à la dimension horizontale : la relation avec notre prochain. Le premier est de s’envoyer les uns aux autres des plats tout prêts. Selon une interprétation, cela encourage à envoyer de la nourriture aux pauvres. C’est une expression de notre dévouement de charité aimante ; il est normalement préférable au fait de donner de l’argent à ceux qui sont dans le besoin, afin qu’ils puissent choisir ce qu’ils achètent et le moment om ils l’achètent, plutôt que de leur donner une nourriture qui ne peut être conservée. Cependant, il n’est pas habituellement possible pour les pauvres de goûter à autre chose qu’aux aliments de base, tandis que Pourim offre la possibilité de donner aux pauvres des mets de choix, sans que cela implique la moindre humiliation, dans la mesure où les riches eux-mêmes s’offrent aussi les uns aux autres des plats fins. Voilà donc pour ce commandement.

Le second commandement est : « donner à ceux qui sont dans le besoin » - c’est la tsedaka (charité). À Pourim elle diffère un peu de la charité habituelle, car la coutume est de donner à toute personne qui tend la main, sans distinction ni investigation. (Il nous semble avoir entendu cela quelque part : « Donne à qui te demande, quel qu’il soit … » (Matthieu 5 :42). Faisons-nous cela ? Pourim ne serait-il pas le moment de commencer ?

Puisque nous parlons de charité (ce qui est bien approprié à ce temps de Carême), il vaut peut-être la peine de rappeler un autre élément de la tradition juive. (« Car si votre justice ne dépasse celle des scribes et des Pharisiens … ») Dans le judaïsme, à propos du don charitable, on distingue entre divers niveau de justice (tsedek). Le premier niveau, le plus bas, est celui où quelqu’un demande et où on lui donne, sans grand enthousiasme toutefois. Le second niveau est celui du don fait de bonne volonté, avec joie et paroles aimables ? Le troisième niveau est celui où il n’est pas même nécessaire de demander, puisque l’on a perçu le besoin, que l’on prévient la demande par l’offre, évitant ainsi à l’autre toute humiliation. Le quatrième niveau est la charité dont celui qui reçoit le don connaît la source, mais dont celui qui donne ignore à qui elle a été donnée, et de ce fait n’attend aucun signe de gratitude. Le cinquième niveau est celui du don fait par quelqu’un qui sait à qui il a donné, sans que celui-ci sache de qui il a reçu, de sorte qu’il peut rendre grâce à Dieu et non à l’autre (qui a donné via un intermédiaire). Le sixième niveau est celui où ni celui qui donne ni celui qui reçoit ne savent (ce qui est le cas quand le don est fait par une tierce personne ou par une organisation). En bref : « Lorsque tu donnes une aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite » (Matthieu 6 :3). J’ai récemment entendu un rabbin de Jérusalem expliquer que dans certaines communautés juives le déguisement est aussi utilisé à cette fin. Pour conclure : il y a aussi une sorte de charité qui ne donne pas seulement de l’aide mais qui aide la personne à être indépendante et à ne plus demander la charité.

Finalement, le plus célèbre des commandements de Pourim est de faire un repas de fête avec une exigence particulière (Megila 7a) : boire jusqu’à ne plus pouvoir distinguer entre « Béni soit Mardochée » et « Maudit soit Haman ». (La valeur numérique de ces deux phrases est curieusement la même). Certains prennent ce commandement à la lettre : boire jusqu’à perdre conscience, et ils s’efforcent de fait de l’accomplir du mieux qu’ils peuvent. Cependant, dans ce même passage du Talmud, il est écrit de façon absolument claire que le Juif accomplissant ce commandement doit être en mesure de réciter la prière d’action de grâce après le repas (birkat hamazon), avec les additions de la fête, ainsi que les prières de l’office de l’après-midi (minha) et du soir (‘arvit). Cela suffit à montrer qu’il ne convient pas d’être ivre mort, même à la fête de Pourim. Comment alors comprendre ce commandement ? Une interprétation possible est celle-ci : « Le vin réjouit le cœur de l’homme » (Ps 104 :15). La psychologie humaine rend impossible d’être dans le même temps joyeux et plein de haine envers son ennemi, même s’il s’agit de l’ennemi le plus féroce. Celui qui est au comble de la joie, au point de ne pouvoir distinguer entre ami et ennemi et de ne plus voir dans l’ennemi qu’un frère, et d’autant plus si cette joie est due à l’impulsion de l’Esprit plutôt qu’à l’effet du vin, il est plus facile de comprendre comment observer cet autre commandement : « Vous avez entendu qu’il est dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi’. Et moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être les enfants de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons, et fait pleuvoir sur les justes comme sur les injustes » (Matthieu 5 :43-45).

Et je vous souhaite un joyeux Carême !

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