Father Gregor Pawlowski - in La Croix


On June 5, 2008, the French Catholic daily, La Croix, published a long article about Father Gregor Pawlowski, who is celebrating 50 years since his priestly ordination. You can find the text of the article in French on our site.

PORTRAIT
Un destin rare, celui d’un enfant juif polonais, sauvé in extremis et à plusieurs reprises des rafles pendant la Seconde Guerre mondiale, devenu prêtre catholique et exerçant aujourd’hui en Israël

Grzegorz Pawlowski, prêtre et juif
LUBLIN (Pologne)
De notre correspondante

Il a le sourire rare, mais il ne manque pas d’humour. «On a entendu parler de votre histoire extraordinaire», lui dit-on pour demander à le rencontrer. « Ah bon, si vous le dites… », répond le P. Grzegorz Pawlowski.

Son histoire, c’est celle d’un enfant juif, Jakub Hersz Griner, qui échappe à la Shoah dans une petite ville du sud-est de la Pologne, Zamosc. Lorsque la guerre éclate, il a 8 ans : son village passe dans les mains de l’occupant russe puis de l’occupant allemand, et avec ses parents, son frère et sa sœur, il court d’une cachette à l’autre.

« Au début, nous étions réfugiés dans une petite pièce chez nos cousins. Un jour, les Allemands sont entrés dans l’appartement mais n’ont pas vu la pièce. On a entendu des cris. Quand ça s’est terminé et que nous sommes sortis, j’ai vu mon cousin et son père dehors, dans une flaque de sang. » Premier tableau macabre – il y en aura beaucoup d’autres –, mais nul apitoiement ni misérabilisme dans le récit du prêtre : juste un alignement de faits, énoncés avec précision, et un remarquable détachement.

En 1942, Jakub Hersz Griner, alors âgé de 11 ans, est enfermé avec ses parents dans le ghetto d’Izbica, à une vingtaine de kilomètres de Zamosc. Quand les Allemands commencent l’extermination, le jeune garçon parvient à s’échapper. Il se lance alors dans une course pour la survie, de village en village, se faisant héberger dans des familles dans lesquelles il ne reste jamais longtemps, car le voisinage finit systématiquement par le repérer: dès qu’il entend quelqu’un l’interpeller «Toi, le juif!», il reprend la route. Un jour, il croise un juif qui lui explique que s’il veut survivre, il lui faut un acte de naissance polonais, et lui en procure un. Jakub Hersz Griner devient Grzegorz Pawlowski :

« J’ai appris toutes les données de ce document par cœur. Cela m’a sauvé la vie. »

Aujourd’hui, Grzegorz Pawlowski, le front légèrement dégarni et le pas ralenti par les années, est prêtre à Haïfa, en Israël. Mais ces temps-ci, on pouvait le voir concélébrer dans le diocèse de Lublin (sud-est de la Pologne), où il fêtait ses 50 ans de sacerdoce : c’est là qu’il a été ordonné, le 20 avril 1958. Ses quatorze camarades d’ordination encore vivants, qu’il considère comme ses « frères », sont au rendez-vous.

Le prêtre rend aussi visite aux bénédictines qui l’ont élevé. Car, lorsque la guerre se termine, le petit Grzegorz, muni de son acte de naissance polonais, est accueilli dans un orphelinat catholique. Il y poursuit une scolarité brillante et sans histoire, quand arrive la préparation de la première communion. Il se confie alors à un prêtre en pleurant: «Je ne suis pas baptisé! – Comment le sais-tu? – C’est ma mère qui me l’a dit. » Il est alors baptisé à la hâte : « J’étais très gêné, parce que tout le monde me regardait… » Le garçon voulait à tout prix être comme les autres enfants, confie-t-il aujourd’hui: «J’avais encore très peur après la guerre. Pour rien au monde je n’aurais dit que j’étais juif.» Et puis, il n’avait pas eu toute son éducation religieuse juive : « Je n’avais même pas fait ma Bar mitsvah. »

Plus tard, Grzegorz entre au séminaire. «J’ai senti l’appel de la prêtrise, l’appel de Dieu, comme saint Joseph faisant ce que Dieu lui demandait sans poser de questions. Jésus était juif, Marie aussi, donc je pouvais bien être prêtre!» En deuxième année, il décide de dévoiler à sa hiérarchie ses origines, qu’il avait tues jusquelà. Un conseil se réunit, présidé par l’évêque de Lublin, et tranche : non, il n’y a pas d’obstacle à ce qu’un juif devienne prêtre. Mais le problème se posera lorsqu’il ira en paroisse : « Ne dis surtout pas aux fidèles que tu es juif, cela te rendrait le travail très difficile », lui confie l’évêque.

Le jeune P. Pawlowski commence donc son ministère sans révéler ses origines, mais cela le fatigue et l’éprouve considérablement. «Un jour, je me suis dit que je ne pouvais pas renier mon père et ma mère, laisser dans l’oubli leur mort atroce. Après tout, la guerre était finie depuis longtemps, je n’avais plus de raison d’avoir peur. Et le quatrième commandement ne dit-il pas : “Honore ton père et ta mère” ? Or moi, je ne les honorais pas puisque je les reniais. »Il se lance alors dans des recherches pour raconter avec le plus d’exactitude possible son histoire et celle de sa famille pendant la Shoah, qu’il restitue dans un article publié dans Tygodnik Powszechny, l’hebdomadaire catholique progressiste de Cracovie, proche des milieux de l’opposition au régime communiste. C’était en 1966, à peine deux ans avant la campagne antisémite orchestrée par le pouvoir. Son article ne suscite aucune réaction : « Les gens étaient indifférents. » En revanche, le texte passe la frontière et arrive à Tel-Aviv, où il finit par tomber entre les mains de son grand frère, dont il découvre qu’il a lui aussi survécu à la Shoah. Le P. Grzegorz se dit alors que sa place est là-bas, et fait ses valises pour la Terre sainte en 1970.

« C’était un déchirement de quitter mon diocèse. Mais j’ai senti l’appel de la vocation. »

Ainsi avance Grzegorz Pawlowski. Sans philosopher, comme il dit, mais en écoutant la voix de Dieu. Et qu’on ne lui parle pas de conversion, cela l’agace profondément! Pour lui, il s’agit d’une «continuation»: «Je ne me suis pas converti, puisque j’ai les mêmes racines que les chrétiens : l’Ancien Testament. La religion a toujours été nécessaire à mon âme. En fait, je me suis mis à croire que Jésus-Christ était le messie dont parle l’Ancien Testament. »

Le P. Pawlowski ne voit aucune contradiction entre ses deux identités: il dit appartenir tout autant à la nation polonaise qu’à la nation israélienne, même si, parce qu’il est prêtre, il n’a jamais pu faire reconnaître son identité juive par l’État d’Israël. On s’étonne. L’homme reste stoïque. « J’ai décidé de ne plus m’en préoccuper. Sinon, on peut s’agacer de tout… » Une attitude qui semble caractériser le personnage. Ainsi, quand on lui parle du débat suscité par la publication, cet hiver, de l’ouvrage de l’historien Jan Tomasz Gross, La Peur, qui accuse les Polonais d’antisémitisme après la guerre, il répond : « Ce n’est pas mon affaire. Je suis prêtre, pas historien ni enquêteur. Je vois ce que j’ai envie de voir. Et ce que je vois, ce sont tous ces Polonais qui ont sauvé des juifs, par exemple. »

Il y a quelques années, lors d’un précédent retour en Pologne, Grzegorz Pawlowski s’était entretenu avec le rabbin de Varsovie. Il lui avait demandé la permission de pouvoir être enterré au cimetière juif de Lublin. Le rabbin la lui a accordée, et le prêtre a déjà préparé sa tombe, avec pour épitaphe : « J’ai quitté mes proches du temps de l’Holocauste pour sauver ma vie. La vie sauvée, je l’ai consacrée à Dieu et aux hommes. Je retourne à présent sur les lieux de leur martyre. » Pour son enterrement, il a demandé que le kaddish, la prière juive pour les morts, soit récité.

AMÉLIE POINSSOT

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